Vitalie Taittinger, de l’art à la bulle

 

 

Elle se rêvait peintre, mais sa destinée fût toute autre : Vitalie Taittinger est la présidente du FRAC Champagne Ardenne, une passionnée d’arts, mais aussi la présidente de la maison Taittinger, depuis janvier 2020, succédant à son père, Pierre-Emmanuel Taittinger. Le célèbre champagne, que l’on trouve dans les caves Nicolas depuis de nombreuses années, est le produit d’une épopée familiale qui a toujours su tenir et se réinventer malgré les péripéties. Rencontre avec celle qui incarne et dirige l’un des plus mythiques vins pétillants français.

 

Le champagne a-t-il toujours fait partie de votre vie ?
Mon père était directeur commercial du Champagne Taittinger, il a donc toujours fait partie de mon environnement, mais je n’ai pas « baigné » dedans : le président ce n’était pas lui, c’était mon oncle. Dans ma famille, on l’a surtout vécu à travers la terre champenoise, où l’on se baladait souvent, à travers les vignes, avec ma mère. Il y avait du champagne à la maison, lors des réceptions que mes parents donnaient, mais ce n’était pas au cœur de nos vies. En revanche, j’ai baigné dans l’effervescence culturelle : plusieurs de mes grands-parents étaient artistes, ma mère était directrice d’un festival, alors nous avions souvent des répétitions à la maison, j’ai grandi avec de la musique et de l’art.

 

Quels sont vos premiers souvenirs avec le champagne ?
Il n’y a pas eu de transmission particulière, ce n’est pas un produit que l’on vivait avec « cérémonie ». Mais quand arrivait l’heure de l’apéritif avec des convives, ils buvaient du champagne. Je me souviens avoir senti les verres, mis mes doigts dedans. Mes premiers souvenirs sont définis par ces fonds de flûtes d’un vin un peu chaud, quasiment plus pétillant. Quand j’ai vraiment découvert le champagne – avec des bulles ! – ça a été un vrai bonheur de goûter sa fraîcheur, son éclat, sa netteté.

 

Imaginiez-vous travailler pour l’entreprise familiale ?
Non, je rêvais d’être peintre. J’ai étudié à l’école Émile Cohl, à Lyon, et j’ai eu diverses expériences professionnelles, autour de l’illustration notamment. Un événement a bousculé mon parcours : en 2005, mon oncle a vendu l’intégralité du groupe Taittinger à un fonds d'investissement américain. A partir de là, mon père s’est secrètement battu pour racheter la maison, j’ai vu ça comme quelque chose de fort, de presque héroïque. Cela m’a donné envie de faire partie de cette aventure. Personne ne me l’a proposé, je pense d’ailleurs que je n’étais pas la candidate évidente, je n’avais pas d’expérience dans ce milieu. Je pense que mon père a eu du mal à me dire oui. J’ai commencé comme consultante marketing, pendant deux ans. J’ai beaucoup travaillé, et ils ont fini par m’intégrer complètement.

 

Vous en êtes notamment devenue l’égérie ?
C’était en 2007, j’avais 28 ans, et j’ai cumulé plusieurs casquettes : j’étais aux commandes de la communication, un poste qui me demandait de mettre les mains dans le cambouis pour façonner une nouvelle image aux champagnes Taittinger. Et j’étais égérie de la maison. Je le suis devenue parce qu’il fallait réaffirmer le caractère familial de l’entreprise et parce que la loi Evin nous oblige à incarner l’entreprise par quelqu’un qui en fasse partie.

 

Être une femme dans cette entreprise, et en être le visage, était-ce compliqué ?
Je co-existais avec ces affiches publicitaires, mais le gros de mon travail était ailleurs. Sur les salons, les gens ne me reconnaissaient pas forcément. J’ai même entendu : « Oh mais dis donc, ils ont fait un sacré travail de maquillage ! » Au sein des champagnes Taittinger, il y a toujours eu des femmes, et pour ma part, je ne me suis jamais sentie l’étendard de la condition féminine. Je vois que la place des femmes dans cet univers est de plus en plus importante, je ne me sens pas du tout isolée. Je suis simplement moi-même avec mes réflexions autour de la Champagne, du métier…

 

Quels ont été les défis à relever depuis votre arrivée ?
Nous avions beaucoup de travail sur l’image de notre champagne. Nous voulions illustrer davantage d’instants de consommation, adopter un angle « lifestyle » qui soit plus incarné, où l’on mette en avant le patrimoine, le vignoble, l’architecture. Nous avons ramené le champagne à des moments du quotidien, en rappelant qu’il est un produit vivant : il est issu d’une tradition, d’un savoir-faire ancien, mais il est aussi un produit qui s’inscrit dans un monde contemporain. Quand j’ai été à mon tour nommée présidente de l’entreprise, en 2020, mon frère Clovis a repris la communication et le marketing, avec un point de vue plus créatif encore.

 

Vos publicités sont de véritables œuvres d’art, en hommage à diverses références culturelles…
Effectivement, un véritable virage a été pris : notre champagne a été ramené à des messages fidèles à notre ADN, et donc à la culture avec laquelle la maison Taittinger a toujours entretenu un lien fort. On y retrouve par exemple des références à la musique d’Ennio Morricone, au cinéma de Sergio Leone. En 2023, nous avons aussi lancé Philanthropic Ars Nova, notre fonds de dotation culturelle. Il reflète les trois grands axes de la maison que sont : la gastronomie, l’art et le patrimoine, et la musique. Notre objectif est de partager ce qui nous anime, de toucher des publics auxquels nous n’avions pas accès.

 

Parlez-nous de cette tradition, de ce savoir-faire Taittinger…
Ce qui garantit la qualité de nos cuvées, c’est notre volonté de toujours progresser, de ne jamais se satisfaire de l’existant. Nous allons bientôt célébrer les cent ans de la maison, et nous n’avons créé que neuf cuvées. Chaque année, nous les questionnons à nouveau, nous les enrichissons, nous améliorons nos processus de fabrication pour qu’ils soient les plus efficaces possible. Notre savoir-faire repose aussi sur la maîtrise de notre produit, du début à la fin. Nous avons un vignoble de 288 hectares qui héberge la source de notre travail, le fruit. Nous le travaillons en restant ancrés dans le présent, en prenant en compte les enjeux climatiques. La maison Taittinger est une entreprise familiale qui se projette sur un temps long, avec une culture de l’humain très forte, où les gens font des carrières longues, ce qui garantit une culture de la transmission.

 

Parlez-nous de votre relation avec la maison Nicolas.
D’aussi loin que je me souvienne, nous avons toujours collaboré avec la maison Nicolas, notamment parce que vos caves partagent bon nombre de valeurs de la maison Taittinger. Présentes sur tout le territoire, elles incarnent cette diversité des terroirs et des approches. Le lien familier que les cavistes Nicolas entretiennent avec leurs clients, leur volonté de long terme, l’intérêt porté à tout ce qui se passe derrière les vins que l’on trouve en magasin… ce sont autant de choses que nous partageons !

 

Le Taittinger Comtes de Champagne 2012 est l’une des références que nous retrouvons d’ailleurs sur Vins Fins by Nicolas. Est-ce que pour finir sur une note majestueuse, vous nous parleriez de cette cuvée emblématique ?
Le premier millésime de cette cuvée date de 1947. A l’époque, elle est créée en hommage à Thibaud IV de Champagne, l’homme qui a ramené d’Orient le premier pied de ce qui fût l’ancêtre du chardonnay, sans qui le champagne n’existerait sans doute pas. Cette cuvée est l’emblème de la maison parce qu’elle incarne le temps long : on garde ce vin dix ans dans les crayères de Saint-Nicaise. Il vient uniquement de cinq villages de la côte des Blancs

 

 Photo David Picchiottino