Rencontre avec Martine Nouet, « la Reine de l’Alambic »

 

 

Les Écossais la surnomment « The Queen of the Steel » (La reine de l’alambic), et lui ont décerné un titre honorifique pour avoir œuvré pour la promotion du whisky. D’origine normande, Martine Nouet a préféré le whisky au calvados. Elle nous raconte son histoire.

 

Le whisky, Martine Nouet n’aimait pas ça. Quand la journaliste culinaire française découvre l’Écosse en 1990 et qu’elle y visite sa première distillerie – Tandhu dans le Speyside – elle refuse même de goûter au breuvage. Mais la découverte de ce monde, des paysages extraordinaires, et l’histoire du pays l'envoûtent. Alors, de retour de ses vacances, Martine décide tout de même de s’intéresser au sujet. Bientôt piquée par un drôle de virus, la journaliste se fraye un chemin dans cet univers, au gré duquel la dégustation deviendra une passion, puis une expertise. Au point de finir par s’installer là où tout commence, là où le whisky est érigé au rang d’art : sur l’île d’Islay. Rencontre avec cette grande dame du whisky, ancienne rédactrice en chef du Magazine du Whisky, et autrice du Guide Hachette des Whiskies et de l’ouvrage Les Routes du Malt.

 

Comment avez-vous commencé à travailler sur le whisky ?
De retour de ce premier voyage, j’ai donc décidé de m’y intéresser. A l’époque, je travaille pour un journal, à qui je demande d’écrire sur le sujet. On me rétorque que j’ai été embauchée pour parler de cuisine et pas de liquides, me laissant entendre que, chez eux, c’est « une affaire d’hommes ». À force d’insister, on me laisse écrire mon premier article sur le whisky, qu’on juge très bon. Alors j’ai continué dans cette voie-là, je me suis mise à goûter, en étant coachée par deux mentors. Michael Jackson, un écrivain spécialiste de la bière et du whisky, et Jim McEwan, le whisky distiller de Bowmore, pendant trente ans. J’ai beaucoup appris à leur contact.

 

On comprend que se faire une place en tant que femme dans ce milieu n’a pas dû être simple une mince affaire…
Au début, quand je visitais les distilleries, on ne me prenait pas trop au sérieux. J’étais une femme, une Française et blonde qui plus est : autrement dit, trois handicaps ! On essayait de me piéger parfois… Mais en général, j’identifiais les pièges ! Si c’est un milieu très masculin, il tend tout de même à l’être de moins en moins. Il y a des femmes maîtres distillatrices, des assembleuses... Je me suis toujours battue contre certaines idées sexistes : que pour le palais des femmes il fallait un whisky doux et non tourbé par exemple. J’ai toujours refusé d’admettre qu’il y avait un palais féminin et un autre masculin. En France, ça a été difficile d’obtenir de l’estime pour mon travail, mais je ne dirais pas que j’en ai souffert. En Écosse, j’ai obtenu de la reconnaissance plus rapidement.

 

Vous avez reçu deux titres honorifiques, racontez-nous ce que veut dire « Master of the Quaich »…
J’ai reçu ce titre honorifique en 2012, après avoir été « Keeper of the Quaich » pendant dix ans [le Quaich est la coupe celtique à deux anses dans laquelle les Highlanders buvait le whisky lorsqu’ils passaient un accord, ndlr]. Une association écossaise reconnaît les gens qui œuvrent pour la promotion du whisky et leur remet ces titres de « keeper » et de « master », très peu de femmes qui l’ont reçu. Dans ce métier, je ne me suis jamais ennuyé une minute, j’ai fait des rencontres fabuleuses et j’ai pu dire tout ce que je pensais comme je le pensais, en toute indépendance.

 

Votre approche était-elle différente de ce qui se faisait à l’époque ?
On me crédite d’un bon nez, mais en réalité je ne sais pas… J’avais ma propre façon de déguster, qui ne se pratiquait pas tellement il y a trente ans, via l’analyse sensorielle. C’est-à-dire que je mets l’accent sur les sens : je parle de mes impressions, de là où ça m’amène, des images et des visions qui me viennent, d’une musique ou d’une couleur. C’est une forme de synesthésie à partir du goût du whisky. C’est la même chose quand je cuisine !

 

D’ailleurs, vous avez développé les accords mets et whisky.
Comme au départ j’étais journaliste culinaire, et que je n’avais pas envie d’arrêter cette discipline, je me suis mise à faire des essais d’accords mets et whisky, oui. Puis j’ai donné des cours de cuisine au whisky. Mais ce n’était pas quelque chose que l’industrie voyait d’un bon œil… Ils disaient que leur whisky était trop bon pour la cuisine ou la table ! Je me suis battue pendant dix ans avant que ce soit accepté. Ensuite, j’ai organisé des dégustations dans des festivals du monde entier, autour de thématiques comme les accords musique et whisky, mets et whisky, mais aussi arts et whisky.

 

Vous êtes-vous déjà essayée au vieillissement du whisky ?
En 2001, j’ai acheté un fût de bourbon de la distillerie Bunnahabhain qui en vendait. Je l’ai laissé vieillir quinze ans chez moi à Islay. C’est devenu le « whisky de la maison », il est merveilleux, fumé et tourbé, j’en suis très contente.

 

Parlez-nous d’un souvenir de dégustation qui vous a marqué…
C’était près de chez moi, à Islay. Avec des amis Sud-africains qui étaient là pour quelques jours. Nous sommes montés sur la colline, au-dessus de la mer. C’était un jour de tempête et les vagues s’écrasaient contre les rochers. Nous avons dégusté une bouteille de Bowmore 1990, aux notes de fruits exotiques. Devant le spectacle naturel, c’était une expérience extraordinaire.

 

À consommer sans modération : Martine Nouet, le Guide Hachette des whiskies, 20 euros