Rencontre avec Caroline Latrive, chef de caves de la Maison Deutz

 

 

« Pure champenoise », voilà comment se présente Caroline Latrive, chef de caves au sein de la prestigieuse Maison Deutz. Et difficile de lui donner tort. Née à Reims, fille d’un œnologue conseil, propriétaire de son propre laboratoire, cette personnalité discrète mais incontournable de de l’écosystème champenois a baigné dans ce qui est devenu une vocation et une passion : contribuer à donner vie aux plus grands champagnes que la France connaît. Après une expérience chez Bollinger, puis quinze ans chez Ayala, dont dix en tant que cheffe de cave, l’œnologue a rejoint la maison Deutz en 2022. Alors que les bulles ont fini d’éclore sur les tables des fêtes de fin d’année, Caroline Latrive s’est confiée à Vins Fins. L’occasion, entre autres, de revenir sur la relation privilégiée que les maisons Deutz et Nicolas entretiennent depuis vingt-cinq ans, un « partenariat axé sur l’excellence », comme elle le résume si bien.

 

Votre amour pour le champagne vient de votre père ?
D’aussi loin que je me souvienne, je l’accompagnais, petite, dans son parcours dans le vignoble, pour rencontrer sa « patientèle ». Il entrait dans les cuveries, considéré comme un médecin de famille par les maisons. J’ai grandi dans cet univers, et les photographies de mon enfance en témoignent. Je pense à l’une d’elles, je dois avoir cinq ou six ans, j’ai le nez sur un verre et j’essaye d’y déceler les arômes. Les dégustations, les odeurs du laboratoire, les célébrations familiales accompagnées de champagne – bien souvent un magnum de la Maison Palmer – ont bercé ma jeunesse.

 

Comment avez-vous décidé d’y lier votre destin professionnel ?
Si mon père a été une source d’inspiration, et qu’il m’a initiée au champagne, il ne m’a pour autant jamais fait part d’une volonté de me voir suivre sa voie. À vrai dire, ma famille pensait que je suivrais celle de ma mère, pharmacienne. À l’âge où l’on commence à s’imaginer dans une profession, vers quatorze ou quinze ans, j’ai su que je voulais rejoindre le milieu du champagne. Mes parents m’ont soutenue, mais m’ont conseillé de prendre une voie générale pour me réorienter au besoin. À cette époque, il y avait très peu de femmes dans ce milieu, ou alors elles étaient des petites mains à la vigne, en laboratoire, à l’habillage, peu présentes dans les circuits de vinification et surtout pas mises en avant… Si mon père avait ses inquiétudes, il ne m’a jamais freinée.

 

Être une femme dans ce milieu a été difficile ?
Je dirais que les débuts n’ont pas toujours été faciles, avec un long chemin à parcourir. À quelques reprises, j’ai trouvé porte close parce que j’étais une femme. Je l’ai pris comme une mise à l’épreuve, cela m’a poussée à être d’autant plus persuasive ! Malgré le caractère traditionnel de ce milieu, j’y ai rencontré des gens ouverts d’esprit qui m’ont offert la possibilité de montrer ma capacité à vinifier. En vingt-cinq ans, les choses ont beaucoup changé et je pense qu’être une femme n’est plus une question. On sait, tout aussi bien qu’un homme, travailler avec passion et intégrité. Nous sommes considérées.

 

Comment êtes-vous arrivée jusqu’à Deutz ?
Après un DEUG scientifique en biologie et biochimie, j’ai réalisé des stages dans des maisons de champagne telles que Louis Roederer, Piper Heidsieck, qui m’ont confortée dans la volonté d’intégrer cet univers. En 1999, le diplôme national d’œnologue en poche, je rejoins Michel Davesne, alors Chef de caves chez Palmer, auprès duquel je continue à apprendre, à l’occasion d’un stage. J’intègre ensuite la Maison Bollinger, puis Ayala où j’ai œuvré pendant quinze ans. Je suis restée proche de Michel Davesne, Chef de caves de Champagne Deutz de 2003 à 2023. En 2022, c’est lui qui me propose de lui succéder en tant que Chef de caves alors qu’il projette de prendre sa retraite. Je n’ai pas hésité un instant avec le souhait de poursuivre son travail.

 

Qu’est-ce qui vous a permis de trouver votre place au sein de la maison Deutz ?
Les dimensions familiale et humaine de cette maison m’ont séduite. Tous les services travaillent dans la transversalité, nous échangeons en permanence, je me sens actrice à tous les niveaux. Au cœur du savoir-faire, le respect de la matière première, des raisins, est le maître-mot. Une volonté de sélectionner des crus dans un rayon restreint de trente kilomètres autour d’Aÿ permet de disposer d’approvisionnements de très belle qualité. La pureté du fruit, grâce à un élevage exclusivement en cuves en inox, l’intégrité des crus, la précision et le sens du détail, sont des éléments essentiels de notre travail que l’on souhaite peu interventionniste, pour laisser s’exprimer la spécificité du vin. Nous attachons une attention toute particulière au temps, un élément majeur dans l’élaboration du champagne, qui viendra apporter complexité et raffinement à chacune de nos cuvées : nous doublons, voire triplons systématiquement le temps de repos de nos millésimes et cuvées de prestige.

 

Pour finir, vous nous parleriez des cuvées Amour 2013 et Amour Rosé 2013, toutes deux disponibles sur Vins Fins ?
Ce sont toutes deux des cuvées de prestige. Amour de Deutz 2013 est un blanc de blancs, avec une signature stylistique séduisante, gourmande, un touché de bouche presque soyeux. Nous sélectionnons de très beaux chardonnays de la Côte des Blancs, avec une belle minéralité, un potentiel de vieillissement incroyable. La tension est présente ainsi que la générosité. On apporte une touche de chardonnays de la Montagne de Reims pour un peu plus de gourmandise. La cuvée Amour de Deutz Rosé 2013 est issue d’un assemblage de cépages, 58% de pinots noirs et 42% de chardonnays. On laisse le temps aux vins clairs de s’exprimer pour se révéler. La mise en bouteilles est réalisée le plus tardivement possible. Pour encore plus de fruit et d’élégance, on apporte, enfin, une petite proportion de vin rouge que l’on vinifie nous-même.

 

photo : X. Lavictoire