Derrière le bar de Rémy Savage

 

 

Écouter Rémy Savage parler de spiritueux, c’est un peu comme se laisser porter après minuit dans un Woody Allen – au hasard Midnight in Paris – : on voyage à travers le temps ! Rémy est à l’origine de quatre adresses, à Paris, Lyon, Bordeaux ou encore Londres. Chaque bar est un hommage à un mouvement artistique : l’art nouveau, l’art abstrait, le Bauhaus... Verres, musique, décoration et recettes y sont accordées pour un ensemble qui envoûte autant qu’il fait perdre le sens de lecture du calendrier. Au départ, ce mixologue de 33 ans se destinait à une carrière de philosophe plutôt d’artiste du cocktail, mais son travail de barman – censé n’être qu’alimentaire – a bientôt viré à la vocation, et depuis une décennie déjà, Rémy Savage s’est imposé comme l’une des figures du cocktail haut-de-gamme. « Autour de cette boisson naissent des conversations. On ne va pas dans un bar pour avoir l’air intelligent, on n’a rien à prouver, et pourtant, autour d’un bon verre naissent des échanges parfois très intéressants », note ce passionné de spiritueux vintage, qu’il chine jusque dans les années 1920. Vins Fins by Nicolas a plongé derrière le zinc de cet artiste des liqueurs, au fil de quatre recettes – avec à chaque fois un ingrédient de prestige – qui sauront, nous l’espérons, vous inspirer !

 

Un Cognac Martell Cordon Bleu
« Ce cognac est mon liquide préféré, surtout pour les cocktails, parce qu’on n’associe jamais ce spiritueux à ce type de boisson. Il a encore une étiquette vieillotte de digestif de chef d’entreprise. Mais en réalité, c’est un alcool qui peut aller dans des tas de directions. Comme il naît du raisin, il est à mon sens plus généreux qu’un whisky. En général, je le travaille en préservant son ADN lié à la vigne. Au Bar Nouveau, je lui mêle du verjus, du sucre de raisin et de l’eau travaillée au carbonate. C’est un cocktail à l’esprit long drink, assez frais comme pourrait l’être un spritz, qui a de la richesse et de l’acidité… Rien de ce que l’on associe au cognac ! »

 

Un vermouth Carpano Punt E Mes, des années 1960
« Cette version du vermouth est légèrement plus amère que les autres références de la maison Carpano. L’intérêt de cet alcool, c’est que peu importe la façon dont il est conservé, une oxydation se fait, provoquant une espèce de rancio qui fait des liquides incroyables. Avec cette édition des années 1960, on a une belle complexité, le goût du noyau qui vient flirter avec le goût d’un Sauternes… Comme les bouteilles sont difficiles à trouver et qu’elles sont chères, on ne l’utilise pas systématiquement. On en a dans nos bars, mais on les sort à la demande du client. Je le mets dans mon Milano Torino, dont la recette est très simple : à part égale, je mêle ce vermouth à du Campari. C’est extra ! »

 

La Framboise qu’il distille lui-même
« À l’arrière d’Abstract, mon bar à Lyon, on trouve toutes les distillations que nous réalisons nous-mêmes, sous vide et sur place. L’idée ici est de ne faire que des monochromes : un seul ingrédient est distillé pour un alcool précis. L’un de mes préférés est celui à la framboise. Turin n’est pas loin de Lyon, et c’est la capitale de ce fruit : j’y vais au meilleur moment, lorsqu’elles sont mûres et gorgées de jus. Je les fais macérer avec un volume d’alcool à base de raisin, pour trois volumes de fruits. On obtient un alcool blanc qui a tous les arômes de la framboise. Avec, je fais un Framboise Tonic, sur le principe du Gin Tonic : j’y ajoute donc un tonic de qualité, comme un Fever Tree, un 3 Cents ou encore un London Essence. »

 

Un Château Yquem
« Celui-là est un cocktail qui illustre parfaitement la possibilité de faire un cocktail avec de très grandes matières premières, y compris en termes de spiritueux, à condition d’y mettre un certain prix... Pour accompagner un dîner élaboré par un chef sur un événement, j’ai travaillé un cocktail avec un cognac XXO et un concentrât de Château Yquem, auxquels j’ai ajouté de la truffe blanche et un distillat de de la “main de Bouddha”, un agrume originaire du sud-ouest de la Chine. On ne pourrait pas le commercialiser derrière un bar, parce qu’il faudrait imaginer un prix à l’unité entre 1 500 et 2 000 euros pour le cocktail… Mais c’est un cocktail exceptionnel ! »