Cristal de Roederer : à la découverte d’un champagne impérial

 

 

Depuis 147 ans, le Cristal est l’emblème de la maison Roederer, son meilleur champagne. Retour une incroyable saga, avec les commentaires avisés d’Eve-Claire Mathieu, responsable visites et réception de la maison champenoise.

 

C’est une des cuvées les plus iconiques qui soient. Des clips des rappeurs américains les plus en vue aux plus grandes tables gastronomiques, le Cristal de Roederer par sa finesse, sa complexité gustative, et son image, est devenu l'un des champagnes les plus prisés au monde. Pourtant, cet élixir a bien failli ne jamais être connu des grands amateurs. À l’origine, le Cristal de Roederer était exclusivement destiné au Tsar Alexandre II de Russie, qui en passa la commande en 1876. Contrairement à la coutume qui voulait qu’on achète alors le raisin en négoce, Louis Roederer fils avait acquis ses propres parcelles pour maîtriser la confection de son vin. C’est donc à lui qu’Alexandre II s’adressa pour façonner « un champagne destiné à son usage personnel, une cuvée privée », commence Eve-Claire Mathieu.

 

Un impressionnant cahier des charges

 

Craignant constamment d’être empoisonné, le Tsar veut pouvoir scruter le liquide avant de le consommer. Il exige donc l’impossible ou presque : une bouteille transparente. S’il existe bien un moyen d’y parvenir, il est pour le moins coûteux : cela requiert d’utiliser l’unique gemme limpide existante : du cristal. Le Tsar veut aussi que le récipient ait un fond plat, « pour éviter que puisse être caché un explosif dans la piqûre de la bouteille, qui était ordinairement beaucoup plus profonde à l’époque », poursuit la responsable des visites et réception de la maison champenoise.

 

Là encore, la requête demande une prouesse technique, l’ergonomie classique de la bouteille étant essentielle à la gestion de la pression. Un fond plat la rendrait bien plus encline à exploser au moindre choc… Aussi complexe soit-il, Roederer parvient à remplir ce cahier des charges inédit et fabrique une bouteille avec un socle très épais, encore aujourd’hui unique en son genre.

 

Jusqu’en 1917, le Cristal est donc réservé au Tsar et son entourage. Nul autre n’y trempe ses lèvres. Seulement, cette année-là, la Révolution russe marque un tournant dans l’histoire, et la production s’interrompt. Ce n’est qu’à la fin des années 1920 que l’emblème de Roederer renaît, mais cette fois sous forme de cuvée prestige destinée aux amateurs.

 

Patience et célébration

 

Si le cristal de la bouteille a depuis été remplacé par du verre, la tradition de sa fabrication, elle, n’a pas changé. Les meilleurs raisins issus de 45 parcelles sur trois secteurs sont collectés pour sa fabrication : ceux de la vallée de la Marne, de la Côte des Blancs et de la montagne de Reims. Seules les vignes de plus de 25 ans sont exploitées, pour garantir le raisin le plus expressif qui soit.

 

« Toutes sont situées sur des dorsales de craie, l’équilibre entre ces trois domaines est impératif, c’est la complémentarité de leurs personnalités qui façonne le goût du Cristal », souligne Eve-Claire Mathieu. De fait, il arrive qu’une vendange ne donne pas lieu à une cuvée Cristal. Si le raisin de l’un de ces secteurs n’est pas à la hauteur, alors la cuvée n’est pas millésimée, comme cela a été le cas en 2001, 2003 ou encore 2017. Pour garantir l’exception de ce champagne, « nous ne le produisons que lors des grandes années », résume-t-elle.

 

Aux grains des grandes années doit s’ajouter une dose de patience. « Après la mise en bouteille et l’ajout des levures, le vin vieillit au minimum six ans sur lattes. Comme chaque millésime est unique, nos œnologues les dégustent régulièrement pour estimer le moment idéal. Il arrive que le vieillissement atteigne sept ou huit ans. » Historiquement, le Cristal était un champagne très doux : « On ajoutait beaucoup de sucre de canne, pour garantir sa conservation, mais c’est désormais un champagne brut. » Pour que la liqueur d’expédition se marie de façon homogène au vin, on lui laisse encore un temps de repos, un vieillissement sur bouchon qui dure six à douze mois. À ce moment-là seulement, il est prêt à être dégusté, « Le Chardonnay et le Pinot noir vont alors exprimer la pureté, le fruité et la puissance typiques de cette cuvée, qui peut d’ailleurs être conservée pendant plus de 20 ans. »

 

Si la technologie du Cristal ne suffira pas à préserver le Tsar d’un assassinat – il meurt en 1881, tué par d’autres moyens que la boisson – elle aura offert à Roederer de devenir une icône du champagne auprès des élites. Notamment grâce à l’œuvre de Camille Olry-Roederer, seule femme à avoir géré la maison, au début des années 1930. Ses réceptions mondaines arrosées de champagne ont fait du célèbre élixir un incontournable des célébrations festives, partout autour du monde. Une tradition qui perdure toujours près d’un siècle après.

 

Disponible dans les magasins NICOLAS