« Mon père voulait un whisky breton, sinon rien »

 

Dans la famille Le Lay, on distille depuis plus de 100 ans. Longtemps, on s’est contenté de faire de l’eau de vie de cidre, baptisée « lambig » en breton. Puis au milieu des années 1990, sous le coup de génie d’un héritier passionné, Guy Le Lay, la distillerie des Menhirs s’est mise à produire un whisky 100% breton. Récemment décédé, celui qu’on prenait pour un fou laisse derrière lui un produit et une histoire uniques en leur genre. Mais heureusement Loig, l’un de ses fils, est là pour assurer la relève et nous raconter l’épopée de son père, ancien professeur de mathématiques reconverti en maître de l’alambic.

 

Dans l’histoire des Le Lay, rien ne prédestinait à cette success story made in Breizh qu’est la distillerie des Menhirs. Historiquement, les aïeuls étaient des « bouilleurs ambulants », transformant le cidre en digestif à la demande des paysans. Le grand-père, troisième génération à la tête de ce petit commerce nomade, avait demandé à son fils, Guy, de ne pas reprendre le flambeau. « Pas un métier d’avenir », résume Loig. Une requête qui n’empêcha pas Guy, à 39 ans, de lui désobéir et de quitter son métier de prof de maths, trop inquiet que cette tradition bretonne ne disparaisse. Son lambig, Guy Le Lay le veut alors moins « approximatif » que celui de ses prédécesseurs, sourit Loig, mais surtout, il entend bien le mettre dans les rayons d’un supermarché. Il fonde alors la distillerie telle qu’on la connaît aujourd’hui, replante 35 hectares de vergers, et sauve quelques variétés de pommes au passage.

 

S’il en fait une activité pérenne, elle a pourtant un défaut : son succès se limite à la saison estivale, quand les touristes visitent la région. Au milieu des années 1990, alors que l’activité du mois de janvier est d’un calme olympien, Guy et sa femme partent en vacances en Ecosse où ils ont des amis. En ligne de mire depuis leur hôtel, le couple voit une distillerie, dont la valse incessante d’allers-retours des camions de livraison fait halluciner le père. Et s’il fabriquait lui aussi ce spiritueux, consommé toute l’année ?

 

Un whisky de blé noir

 

« Mais une pâle copie d’un spiritueux fabriqué depuis 200 ans en Ecosse ne l’intéressait pas. Pour lui, il était hors de question de le concevoir avec de l’orge. Il ferait un whisky breton à base de blé noir, ou sinon rien ! », raconte son fils. Ce projet, autour de lui, on n’y croit pas vraiment, notamment parce que « le blé noir a un rendement quatre fois moins bon que l’orge et il est trois fois moins efficace lorsqu’il s’agit de se transformer en alcool… », explique Loig. Depuis sa cuisine, il commence par une expérience dont résulte une bouillie grisâtre inspirant davantage la réalisation de galettes que de whisky. A force de levurer sa mixture et de la distiller avec ses appareils de chimistes, Guy finit par obtenir le Graal, un jus à 70%

 

« Il se trouve que quand mon père a eu son idée, un banquier qu’il connaissait lui avait dit : si tu réussis à faire ce produit-là, je te donnerai les fonds. » Après ce premier petit succès, l’apprenti-sorcier décide de convertir son atelier de chimie en vraie distillerie. En 1999, il emprunte pour acheter un alambic de 25 hectolitres à Cognac. A mesure que la machine prend forme, il se risque à demander le mode d’emploi, sous les regards ahuris des chaudronniers.

 

Sans rien y connaître, il s’entête, essaye, se heurte à la difficulté d’un métier qu’il ne connaît pas. Courriers, faxes, coups de fil insistants… Il harcèle l’entreprise de chaudronnerie, pour comprendre la méthode, jusqu’à ce que le patron, excédé, lui réponde enfin. « J’ai installé cet appareil mille fois et il n’y a que chez vous que ça ne marche pas ! Visiblement, vous ne savez pas distiller », lui dit-il, avant de le mettre en contact avec l’homme de la situation, qui lui apprendra à dompter la chose et qui l’aidera à élaborer sa recette. En 2002, le premier Eddu – littéralement « blé noir » en breton – voit le jour.

 

Depuis, des milliers et milliers de litres sont passés par l’alambic de la distillerie des Menhirs. Le résultat, c’est un whisky bien différent de l’écossais, aux notes fruitées et florales, très rond en bouche, doux. En 2008, Guy Le Lay a pris sa retraite et passé le flambeau à ses trois fils, leur laissant carte blanche sur l’avenir de sa distillerie. « Il était fier qu’on reprenne derrière lui », termine Loig. Depuis, son nectar a raflé de belles récompenses, il a été élu meilleur whisky de grain français sans âge aux World Whikies Awards, a reçu une médaille de bronze à l’International Wine & Spirit Competition. Son décès laisse un grand vide en Bretagne, mais la tradition, elle, reste bien gardée.

 

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