Philippe Troussard, la passion du vin jaune

 

Sur le CV de Philippe Troussard, on trouve deux des plus belles distinctions en matière de gastronomie et de vin. Meilleur ouvrier de France en 2015, cet amoureux du vin décroche l’année suivante le titre de Meilleur sommelier de France. Niché au cœur du Jura et extrêmement renommé, son restaurant, Les Caudalies, est chaque jour l’occasion pour lui de s’adonner à ses passions : déguster, raconter et réinventer les vins d’Arbois. Il n’y avait donc pas meilleur guide que Philippe Troussard et sa verve pour nous ouvrir les portes de cet extraordinaire univers, et nous parler de flacons d’une rareté extrême disponibles chez Nicolas.

 

Comment est né votre intérêt pour le vin ?
J’y ai été éveillé dès mon enfance. Mon père était maître d’hôtel et sommelier en Bourgogne, où nous vivions. A chaque fête de famille, quand il avait un peu de temps à partager avec nous, on goûtait des grands crus de la région. Chablis, Chambertin, Côte de Beaune… Il nous disait souvent qu’on ne vendangerait plus de telles cuvées, que c’était le moment de les déguster. Nous avions dix ans, c’était puissant en alcool, et cela n’avait pas tellement d’intérêt à cette époque !

 

Et pour devenir sommelier, où avez-vous éduqué votre palais ?
Mon palais s’est véritablement formé lorsque mon père a ouvert un établissement avec ma belle-mère dans le Jura, où j’ai fait mon apprentissage en restauration. J’ai alors 15 ans et le virus de la dégustation me pique, me sur-passionne même ! Je prends conscience de l’importance de pouvoir expliquer à mes clients ce que je verse dans leurs verres. Je complète mon brevet professionnel par une mention complémentaire en sommellerie. Depuis, ma soif d’apprendre ne s’est jamais tarie. C’est au contact des vins jurassiens, et notamment de l’un des plus grands du monde, le vin jaune, que j’ai tout appris.

 

Justement, parlez-nous de la typicité de ce vin jaune !
Le vin jaune, fait à partir du cépage savagnin, a une particularité unique au monde : il n’est pas ouillé. C’est-à-dire qu’on laisse l’oxygène participer à son vieillissement. La légende raconte que cette méthode serait née d’un oubli de l’homme, sûrement au XVIIIe siècle, car la plus vieille bouteille recensée remonte à 1774. Il offre une complexité et une singularité hors du commun grâce à cette oxydation maîtrisée. Il ne connaît pas d’équivalent dans la catégorie des vins blancs secs.

 

Les vins jurassiens connaissent un regain de popularité ces dernières années. À quoi est-ce dû ?
Après avoir été longtemps englués dans la tradition, sans innover, les vins d’Arbois ont connu un premier sursaut : en 1985, Pierre Overnoy se met aux vins naturels. Dès les années 2000, il est suivi par de nombreux vignerons, ce qui apporte un nouveau souffle à la région. Ce regain de popularité est dû à une approche extrêmement contemporaine du vignoble, avec beaucoup de bio, de biodynamie, des vins naturels et très accessibles à la fois.

 

Sur Vins Fins, on trouve des références du XIXe siècle et du début du XXe siècle pour les vins jaune et les vins de paille. Comment peuvent-ils être conservés si longtemps ?
Sur votre site Vins Fins, il y a par exemple une référence de vin jaune qui date de 1834. D’ordinaire l’air est l’ennemi du vin. Mais ici, on a un vin destiné à supporter l’oxygène, et c’est précisément cette spécificité qui lui permet de vieillir aussi longtemps. En revanche, la conservation du vin de paille daté de 1915 s’explique par d’autres facteurs. Il a une structure acide au départ, grâce au cépage savagnin dont le PH est autour de 3, il comporte des sucres résiduels et possède une base d’éthanol maîtrisée. Autant d’éléments qui lui permettent de tenir dans le temps.

 

Si ces bouteilles étaient les vôtres, comment les dégusteriez-vous ?
Je mettrais un cérémonial en place, je convoquerais un petit comité d’amis et experts. Après tout, le vin est une boisson de partage ! Je choisirais un endroit serein, à 14 degrés. Je profiterais de leurs premiers instants de vie sans être dérangé par aucune odeur : ni celle d’une cave, ni celle de nourriture. D’ailleurs, je privilégierais une dégustation sans manger, pour découvrir pleinement les premiers arômes éphémères. J’utiliserais une verrerie de haute couture et je garderais une trace de mes impressions. Ce sont des bouteilles à méditer.

 

Découvrez l’Hôtel Restaurant Les Caudalies, 20 avenue Pasteur, 39600 Arbois