La bulle dans le viseur



 

Gérard Liger-Belair, auteur de l’ouvrage Un monde de bulles, le champagne ou la science de l’effervescence ne se prédestinait pas franchement à une carrière dans le vin. Alors qu’il est un jeune physicien spécialisé dans l’océanographie, un accident de plongée change sa destinée à 25 ans. Il ne peut plus descendre explorer les fonds marins, et décide de changer de voie… En s’orientant vers d’autres liquides : les vins pétillants.

 

Comment êtes-vous passé de l’océan au champagne ?
A la fin des années 1990, après mon accident, je faisais de la macrophotographie à haute vitesse, notamment sur des insectes. Et je me suis dit : pourquoi ne pas essayer de capturer des bulles en mouvement dans une boisson pétillante ? Ça m’a donné envie d’étudier la mécanique de leur formation dans des breuvages gazeux. J’ai proposé à deux sociétés d’explorer cette piste, et Moët & Chandon m’a répondu. Je me suis lancé dans une thèse intitulée « Comprendre les phénomènes de la formation et la dynamique des bulles », avec eux et l’Université de Reims.

 

Étiez-vous déjà un mordu de vins et champagnes ?
Absolument pas ! J’ai abordé le sujet en tant que physicien, en m’intéressant aux processus physico-chimiques liés à l’effervescence. Depuis la formation des bulles, en passant par leur ascension, jusqu’à l’éclatement. Autant d’aspects qui n’avaient pas du tout été fouillés jusque-là et qu’on peut désormais visualiser grâce à nos outils. L’approche des œnologues était purement empirique, c’était le nez qui comptait, pas la chimie. Ma méthode n’est pas du tout celle du sérail ! Mais je me suis pris au jeu, je me suis mis à déguster petit à petit.

 

Un souvenir exquis de dégustation à nous raconter ?
Au Nouvel an 2018, j’ai ouvert un magnum de « Cave Privée » de 1980 de la maison Veuve Clicquot, acheté aux enchères cinq ans avant. Je savais qu’il y avait des risques à ne pas le boire de suite, mais j’ai décidé de le laisser vieillir un peu. Il avait donc 38 ans au moment de le déguster. Il était jaune doré, donc un peu oxydé, son effervescence était encore présente mais avec des bulles très fines, signe que le champagne avait perdu du dioxyde de carbone. Il avait des arômes de brioche, de beurre, sans tomber dans la noix qui est un indicateur de sur oxydation. Je ne pouvais pas savoir si l’expérience allait fonctionner, vu son âge, mais il était extraordinaire, à son apogée.

 

Comment savoir si un champagne est bon à faire vieillir ?
On ne sait pas donner le temps de vieillissement parfait pour chaque type de vin pétillant. Mais grâce à nos recherches, on sait un peu mieux à quoi s’attendre en matière d’effervescence au fil de la garde. On a compris que les bouteilles perdaient beaucoup de gaz carbonique avec les années et que les bulles étaient moins nombreuses et plus fines. Mais tout dépend du type de capsule et de bouchon utilisés… On cherche encore à définir la meilleure équation pour faire vieillir chaque vin pétillant. En revanche, on a découvert le rôle précis joué par la bulle, que l’on ignorait auparavant : en remontant, elle attrape les arômes du vin et les libère à la surface en explosant.

 

Le verre choisi a un impact sur la bulle : le scientifique que vous êtes a-t-il un avis sur le contenant idéal ?
L’approche scientifique des bulles a permis de répondre à cela. Dans les années 1980, on buvait le champagne en coupe, avant que la flûte ne soit en vogue. Maintenant, on sait que ni l’un ni l’autre ne sont idéaux ! L’étroitesse de la flûte fait faire un long trajet à la bulle, pendant lequel elle grossit, ce qui entraîne le phénomène de piqûre carbonique. La coupe, elle, est trop évasée. Les bulles gardent leur finesse, mais le contenant évente le champagne. Aujourd’hui, on recommande un verre à vin avec un volume généreux pour garder le côté crémeux des petites bulles et retenir les arômes.

 

Certains vins qui vieillissent perdent donc leurs bulles… Sont-ils toujours agréables à boire ?
Il arrive que le vin ait perdu toutes ses bulles en vieillissant. On considère alors qu’il est en fin de vie, qu’on a trop attendu, car le gaz carbonique a un impact important sur la perception gustative. Mais ce vin a toujours une histoire à raconter. C’est une question de goût, on peut perdre la dimension gazeuse et avoir un produit qui reste agréable.

 

Un monde de bulles - Le champagne ou la science de l'effervescence de Gérard Liger-Belair est disponible sur le site des éditions Ellipses.