Jane Anson, the Queen of Bordeaux



Dans le vignoble bordelais, Jane Anson est incontournable. Experte en œnologie, professeure à l’École de vin de Bordeaux, autrice d’ouvrages sur le sujet et critique pour le magazine Decanter pendant vingt ans, cette infatigable Anglaise distille désormais ses critiques sur son site, JaneAnson.com, où elle décrypte l’actualité du Bordeaux. À l’heure où les producteurs doivent se réinventer face aux attentes des consommateurs, Jane Anson nous raconte la métamorphose vécue de l’intérieur, et s’ouvre sur l’une de ses expériences les plus folles : la dégustation d’un Château Petrus qui a séjourné dans l’espace.

 

D’où vous vient cet intérêt pour le vin, et plus précisément, la production française ?

Les prémices remontent à 1996. À l’époque, je n’étais pas spécialement une amatrice, je venais de finir l’université et j’étais plutôt une buveuse de bière ! Cette année-là, j’ai visité l’Afrique du Sud. L’Apartheid avait été aboli environ cinq ans plus tôt et des Africains noirs commençaient à devenir vignerons. C’était un symbole très fort, que j’ai raconté dans des articles. Je suis donc venue au vin par le journalisme et le goût de l’écriture. À partir de là, je me suis mise à déguster et j’ai découvert un univers incroyable pour les sens. Ma curiosité pour les vins français, elle, s’est éveillée lorsque j’ai déménagé à Bordeaux en 2003. J’avais décidé de m’installer dans une région viticole française. J’hésitais entre la Champagne, la Bourgogne et Bordeaux. Je savais que des liens entre l’Aquitaine et l’Angleterre existaient depuis longtemps, mais au fur et à mesure de la réflexion j’ai pris conscience de l’histoire, de l’économie, de la qualité remarquable des vins de Bordeaux. Tout cela avait une dimension poétique très propice à l’écriture et à la découverte. Ça a scellé le choix. Dans la foulée, j’ai passé mon diplôme de dégustation à l’Institut d’Œnologie de Bordeaux, et j’ai rencontré des grands de cet univers comme Jean-Claude Berrouet ou Denis Dubourdieu. Ils ont été mes mentors, et ça s’est transformé en une aventure fabuleuse.

 

À l’heure où les goûts ont énormément changé, où les vins charpentés, boisés, puissants sont moins à la mode, où l’on attend aussi des produits issus d’une agriculture raisonnée, est-ce que le Bordeaux a su se réinventer ?

En 2003, quand je suis arrivée, on était au climax du vin bodybuildé, élevé dans des fûts de bois neufs. Personnellement, je suis pour des vins avec plus d’élégance et de vivacité, élaborés dans des conditions plus respectueuses de l’environnement. Je crois que les Bordelais ont bien compris cette évolution des goûts. Ils vont dans ce sens. Dans mon livre Inside Bordeaux, j’ai d’ailleurs mis l’accent sur les propriétaires qui travaillent en bio ou en biodynamie. Ils sont de plus en plus nombreux.

 

Et d’un point de vue sociétal, est-ce que c’est un univers qui évolue, avec plus de diversité, de parité dans les exploitations ?

Aujourd’hui, il y a beaucoup plus de femmes qui dirigent les domaines qu’il y a vingt ans, c’est certain. Et elles ne sont pas que les propriétaires, mais aussi les directrices techniques et opérationnelles. Après, pour ce qui est de la diversité, le monde du vin en France, et à l’étranger, doit encore évoluer.

Il y a trois ans, une start-up envoyait douze bouteilles de Petrus 2000 à bord de la Station spatiale internationale. L’expérience visait notamment à mieux comprendre le processus de vieillissement du vin. Vous avez été parmi les chanceux à déguster ces bouteilles à leur retour sur Terre, en comparaison avec des bouteilles de la même année, restées sur notre planète. Ça a changé quelque chose ?

Ça a été un moment fort de ma vie. J’étais la seule journaliste du panel. C’était une dégustation à l’aveugle, triangulaire, avec à chaque fois, deux vins ayant séjourné dans l’espace et un sur Terre, ou l’inverse. Et alors, oui j’ai trouvé qu’il y a une différence assez claire entre le Petrus terrestre et celui de l’espace. Ce dernier avait un nez plus floral et épicé. C’était très agréable. Mais ça reste une dégustation. Les scientifiques vont faire des études plus poussées. Affaire à suivre !



Entretien non sponsorisé, initialement publié dans notre traditionnel magazine de Noël.