Dans la cave d’Aymeric de Clouet

 

Le hasard fait parfois bien les choses. En contactant Aymeric de Clouet pour cette interview, il y a un fait que nous ignorions : tout a commencé pour lui chez Nicolas. Alors étudiant en d’école de commerce, Aymeric remplace le gérant de la cave de la rue de l’Ancienne Comédie à Paris, le temps de ses congés annuels. On est en 1990, et c’est la seule cave ouverte tous les jours jusqu’à minuit. « À partir de vingt heures, on avait une population qui ne buvait pas que de l’eau », en rigole-t-il encore. Cinq semaines durant, le jeune homme travaille dur, déguste, apprend beaucoup, et s’amuse sans compter ! De quoi contribuer à l’éveil d’une passion qui a participé à faire de lui un des grands experts français en vins et spiritueux. Ainsi, ce Chevalier du Mérite Agricole, et expert près la Cour d’Appel de Paris, a orchestré des centaines de ventes aux enchères, dont celles des caves de François Mitterrand, Alain Delon ou encore Lino Ventura. Pour Vins Fins, Aymeric de Clouet nous embarque dans sa cave privée de spiritueux et le quotidien de son métier.

 

Vous avez quitté la cave pour les salles d’enchères, pourquoi ?
Après cette première expérience chez Nicolas, j’ai passé dix ans en Champagne, côté production. Puis, en 2003, j’ai rejoint l’expertise en vin qui était l’activité familiale. Mon père a fondé son entreprise en 1971, peu de temps après que soit apparu le métier de commissaire-priseur en vins, incarné par Michael Broadbent en 1966 chez Christie’s. J’avais déjà un certain bagage technique et il m’a formé au reste.

 

Et le métier d’expert en vins et spiritueux, en quoi consiste-t-il ?
Quel que soit le sujet d’expertise, c’est un peu toujours la même chose : on authentifie, on fait l’inventaire, on estime et on met en vente aux enchères, à Drouot. Dans le vin, ce sont souvent des successions, des gens qui ne souhaitent pas récupérer les bouteilles accumulées par leurs parents. C’est comme ça que j’ai vendu un petit bout de la cave du Duc du Luxembourg, dont le fils ne voulait pas des vieilles références de plus de cinquante ans.

 

Comment le métier évolue-t-il au fil des générations ?
Énormément ! Le vin n’a pas toujours eu de valeur. Quand il a commencé à être vendu aux enchères, il passait en fin de vente, après les meubles. Aujourd’hui, on a des ventes dédiées aux vins et spiritueux. Avec le temps, on est de plus en plus confronté au problème des fausses bouteilles, et cela fait aussi partie de mon travail de les détecter. Je me souviens de cette très belle cave, dont l’inventaire se passait bien jusqu’à ce que le propriétaire me dise « Je vais vous montrer une bouteille, vous allez en pleurer ! ». Il m’a présenté un Petrus 1945 et je lui ai répondu : « C’est vous qui allez pleurer, c’est un faux… » C’était visible à l’œil nu, elle était très mal imitée.

 

Du côté des spiritueux, comment estimez-vous la « rareté » des produits mis aux enchères ?
C’est surtout l’âge qui fait la rareté des spiritueux. Il y a différentes gammes : par exemple un rhum Negrita du XXe siècle, en bouteille d’un litre, vaut aujourd’hui entre 100 et 150 euros, alors que c’est un produit de cuisine au départ ! La Chartreuse est un alcool qui se vend moins de cinquante euros en magasin en général, mais le prix grimpe en vieillissant. Les cuvées des années 1915/1920 valent autour de 4 500 euros l’unité, et cela peut monter jusqu’à 10 000 euros pour les éditions limitées. J’en achète d’ailleurs tous les ans pour chez moi.

 

Y a-t-il d’autres spiritueux que vous trouvez dans les caves de collectionneurs et que vous affectionnez ?
Oui, le cognac ! J’aime beaucoup ça, ma famille en produisait, j’ai très souvent bu des bouteilles datant du XIXe siècle. À cette époque-là, le cognac était millésimé. Les maisons proposaient donc leur millésime de l’année – le plus bas de gamme –, ceux des années précédentes, un peu plus chers, et elles éditaient enfin deux références plus haut de gamme : le trois étoiles – un mélange de plusieurs millésimes vieillis plus longtemps –, et leur meilleur produit – soit un VSOP ou un XO –, non daté. Aujourd’hui, les bouteilles datées ont une valeur immense : j’ai par exemple vendu un cognac millésimé de 1788 à 20 000 euros. À l’inverse, les XO ou VSOP des siècles passés ne valent pas très cher, autour de 150 euros par exemple, juste parce qu’on ne connaît pas trop leur âge, ni trop ce qu’elles contiennent… Or, si la date rassure les acheteurs, elle ne signifie aucunement que le produit est exceptionnel : les millésimes étaient les références les plus bas de gamme quand elles sont sorties ! En achetant un vieux VSOP ou un XO, on a de grandes chances de tomber sur un produit de très haute qualité.

 

Et si vous deviez citer trois références de votre cave…
J’ai une belle série de Chartreuses que j’ai acheté à des prix très décents par rapport à ce que l’on voit aujourd’hui. Comme une VEP 1964, vieillie en foudre de chêne. L’an passé, j’ai vendu cette même bouteille autour de 1 600 euros. En rentrant chez moi le soir, j’ai bu un peu de la mienne, que j’avais dû payer 400 euros à l’époque… J’aime aussi beaucoup le gin, et on trouve parfois de très vieux gins dans les collections, mais c’est rare, ce n’est pas un alcool de grande conservation. Dans mon bar, j’ai toujours une bouteille de Monkey 47. Fabriqué en Allemagne, il se démarque vraiment de la concurrence. Il est fait à partir de 47 plantes infusées, et s’il est difficile de savoir ce qui domine, en dehors du genièvre, il est d’une finesse et d’une complexité incroyable, avec des arômes qui varient selon les jours. Je conserve aussi un magnum de Château de la Tour, Clos Vougeot 2007. C’est l’année de naissance de ma fille. Je l’ai choisi en magnum parce que ce n’était pas une année très puissante et que je voulais le conserver quelques années pour le boire avec elle. Je l’ouvrirai le jour où elle sera obéissante, ou celui de ses 18 ans, en fonction de ce qui arrivera en premier !