Alessandra Fottorino, du poisson et du vin rouge

 

La sommelière et autrice Alessandra Fottorino a pour coutume de dire que la quête du plaisir vaut parfois mieux que la recherche de l’accord parfait. Et si l’on buvait du vin rouge en mangeant du poisson, pour une fois ?

 

Alessandra Fottorino n’a pas passé son enfance à goûter les bouteilles exceptionnelles d’un grand-père collectionneur. Elle n’a pas été initiée au vin, elle en avait simplement l’image d’une boisson posée sur la table des nombreux dîners entre amis qu’organisait sa mère. Jeune adulte, elle se lance dans la restauration et passe, sur le tard, l’équivalent du bac, pour intégrer la prestigieuse école Ferrandi. Son apprentissage aux côtés de Bernard Loiseau, en Côte d’Or, lance sa carrière de sommelière. C’est alors le début d’une exploration dans l’univers de la vigne, qui la conduira à devenir caviste, à créer des bars à vins, à être formatrice et même autrice d’un livre sur le sexisme du milieu, In Vino Femina, les tribulations d'une femme dans le monde du vin. Alessandra Fottorino est une passionnée de vins vivants, qui a coutume de dire que la quête du plaisir vaut parfois mieux que celle de l’accord parfait. Pour Vins Fins, elle se confie sur un accord mets et vins peu commun, de l’or rouge sur du poisson. Parce qu’après tout, pourquoi pas ?

 

Pourquoi le poisson s’accorde plutôt au vin blanc, traditionnellement ?
Culturellement, dans les accords de couleur, il y a des choses acquises : on associe le vin rouge à la viande rouge, par exemple, pour le côté sanguin qu’on retrouve dans les vins avec une teneur en tannins. Ils ont de la matière et s’accordent bien à des aliments qui ont eux aussi de la structure, comme une viande. Au contraire, le vin blanc ne contient pas de tannins, il n’a pas autant de puissance et est associé à des aliments qui le laissent s’exprimer, comme du poisson. On sait par ailleurs que les tannins et l’iode ne se combinent pas très bien, le premier gomme le second. Sans compter qu’on peut parfois avoir un goût de ferraille en bouche en les mêlant. Mais cela dit, tous les rouges ne sont pas riches en tannins, et il peut être intéressant de bousculer la tradition de temps en temps.

 

Allez-y, donnez-nous un exemple de tradition qui mérite d’être perturbée en matière d’accord mets et vins ?
On a l’habitude de boire du vin rouge sur le fromage. Or, les lactiques et les tannins ne font pas non plus bon ménage, chimiquement parlant. On a mis du temps à comprendre que les vins très riches en matière, un peu asséchants, doués d’une certaine austérité, n’étaient pas faits pour accompagner des fromages de vache, par exemple. Il est beaucoup plus intéressant de les accorder à des vins blancs, ou à des rouges qui sont sur le fruit, plus gourmands et souples

 

Cela s’applique-t-il aussi à des rouges avec du poisson ?
Tout à fait, on peut mêler des rouges à du poisson sous certaines conditions. Le cépage Pinot noir, s’il est travaillé sur la souplesse, sans élevage en fût de chêne (qui apporte de la structure), plutôt sur un angle végétal, peut aller avec du poisson. Je verrais bien des Menetou-Salon, des Sancerre rouge, ou encore un vin jurassien à base de poulsard, qui présente des robes légères, sans être asséchant. Le poisson est délicat, on essaye donc de l’accorder à quelque chose qui n’a pas trop de matière, au risque de le masquer. Alors même si traditionnellement on met plutôt du blanc sur le poisson, si l’on aime boire un vin rouge léger, cela peut tout aussi bien marcher.

 

Certains poissons s’accordent-ils plus facilement à des vins rouges que d’autres ?
Quand je travaillais aux côtés de Bernard Loiseau, nous servions un grand plat bourguignon, le pavé de sandre au vin rouge, avec un Côte de Beaune. C’est un poisson fort en personnalité, et sa sauce vient accentuer à la fois sa texture et sa puissance gustative. De fait, le vin rouge n’entre pas trop en concurrence en l’accompagnant. Je conseille des poissons avec de la matière et du goût, comme du thon rouge. Ou alors des préparations avec de la crème ou du vin rouge dans la sauce.

 

Dans la sélection Vins Fins, avez vous repéré quelques références à accorder avec des produits de la mer ?
J’ai repéré un Pinot Noir de Jean-Marc Pillot, qui pourrait à mon avis être intéressant sur un turbot crémé au vin rouge. Idem pour les Saumur Champigny du Clos de l’Echelier (le 2017 et le 2019), à base de cabernet franc. Ils sont plus tanniques mais peuvent bien s’accorder à des poissons cuisinés à la crème.

 

In Vino Femina, Les tribulations d'une femme dans le monde du vin, par Alessandra Fottorino (illustrations par Céline Pernot-Burlet), disponible aux éditions Hachette, 22,50 €